L'Arctique, une zone sous tension (étude)

Publié le par Mathieu Lefort

L'Arctique, une zone sous tension (étude)

L’Arctique est une zone qui fait fantasmer depuis déjà de nombreuses années. Ses ressources présumées fait de l’Arctique, une zone hautement stratégique notamment pour la Russie qui anticipe la diminution de ses ressources énergétiques. De nombreux événements récents ravivent la flamme des contestations territoriales opérées entre les pays côtiers. C’est une occasion de rappeler les enjeux de l’Arctique, de rappeler les conséquences de la fonte des neiges et d’énumérer les différentes actualités.

Selon, de nombreuses études, notamment de l’institut de géophysique américain, l’Arctique renfermerait 22% des ressources énergétiques non découvertes. En détail, 13% des réserves mondiales de pétrole non découvertes (90 milliards de barils) et 30% des réserves de gaz (47 000 milliards de mètres cube). Les minerais seraient également présents en grande quantité (terre rare, nickel, or…) notamment au Nord du Canada. Face à la diminution progressive des réserves exploitées, les gouvernements souhaitent trouver de nouveaux gisements pour assurer soit leur statut de producteur (Russie) soit assurer des coûts bas aux consommateurs. De même, les nouvelles technologies de prospection permettent de creuser de plus en plus profondément à moindre coût. Ce qui ne fait que renforcer l’envie de trouver de nouveaux gisements pour les multinationales qui souhaitent garder leur part de marché.

Mais ce n’est pas seulement une question de ressource. La fonte des glaces permet aux routes maritimes arctiques d’être ouvertes plus longtemps. Ainsi, en Août 2013, un cargo chinois du groupe Cosco a pu rejoindre l’Europe en passant par le détroit de Béring et a traversé l’arctique sans encombre. Cette ouverture plus permanente permettra à terme l’acheminement plus rapide des marchandises entre l’Asie et l’Europe et une économie non négligeable sur les frais de carburant. Ainsi, nous pourrions assister à un bouleversement important des échanges mondiaux. Par ailleurs on peut penser, que si à l’avenir, la majorité des échanges devaient se faire non plus au Sud mais au Nord à travers l’Arctique, la piraterie ne serait plus un problème pour les navires compte tenu de la géographie de la zone et des Etats qui bordent cette route maritime.

Ainsi cette ouverture pose de nombreuses questions. Si la majorité des marchandises devaient dorénavant passer par l’Arctique, la question écologique se posera rapidement pour les Etats côtiers (Canada, Etats-Unis, Russie, Norvège, Danemark, Suède, Finlande et l’Islande). L’arrivée massive des navires bouleversera les écosystèmes et les gouvernements devront réagir avec des politiques de financement visant à lutter et à réduire la pollution.

L’enjeu est donc de pouvoir contrôler ces routes commerciales. Par exemple, le Canada revendique le passage du Nord-ouest comme des eaux intérieures.

« Toutes les eaux de l’archipel Arctique canadien incluant les différents cours d’eau connus sous le nom de « passage du Nord-Ouest » sont des eaux intérieures du Canada » a déclaré le Ministre des affaires étrangères canadien lors d’une entrevue avec le journal DSI HS n°29.

Il surenchérit avec « le Canada a le droit inconditionnel de régir le passage du Nord-Ouest comme il le fait ailleurs sur son territoire »

Le Canada serait donc en mesure de légiférer sur tous les domaines et d’appliquer une réglementation nationale. Le Canada posséderait alors un droit de poursuite pour les infractions commises dans sa mer territoriale. Seulement, les Etats-Unis et l’Union Européenne revendiquent ce passage comme un passage international où tout navire a le droit de naviguer librement.

L'Arctique, une zone sous tension (étude)

De même, l’enjeu des extensions des plateaux continentaux prend ici tout son sens. Depuis la convention de Montego Bay en 1982, les Etats peuvent revendiquer une extension de leur ZEE (Zone Economique Exclusive) auprès de la Commission des Limites du plateau continental des Nations Unies, s’ils prouvent que leurs plateaux continentaux s’étendent au-delà des 200 milles réglementaires. Il existe cependant une limite : l’extension ne peut pas dépasser les 350 milles par rapport à leurs littoraux.

Ainsi, en 2001, la Russie a revendiqué une extension de sa ZEE sur la dorsale Lomonossov mais la Commission avait mise en cause la validité du dossier et demandée à la Russie de continuer les recherches. Début décembre, le Canada devait rendre à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) un dossier pour revendiquer auprès de l’ONU sa souveraineté sur cette même dorsale Lomonossov. Seulement, il semblerait que le dossier ne soit pas complet, il s’agirait uniquement d’études préliminaires. Ainsi le Canada vient de lancer une mission scientifique dans le but de cartographier les fonds marins pour étayer leurs arguments.

« Le Nord est un élément essentiel de l’héritage collectif et de l’avenir du Canada » avait déclaré Leona Aglukkaq, ministre pour le Développement du Nord.

Pour résumer, la fonte des glaces provoquée par le réchauffement climatique fait apparaître le potentiel économique (ressources + nouvelles routes maritimes) qu’offre l’Arctique. Seulement ce potentiel contribue à la multiplication des revendications territoriales des Etats côtiers dans le but de posséder ces ressources ou de mieux contrôler les futurs flux maritimes.

L'Arctique, une zone sous tension (étude)

Ces revendications ne sont pas anodines quant aux changements géostratégiques qui s’opèrent dans le grand Nord. En effet, puisque les Etats sont amenés à affirmer leur souveraineté, ils doivent être dans la possibilité de l’illustrer à travers une force de présence militaire (ou non) qui permet d’appréhender l’environnement et de le défendre si besoin.

Ainsi, la Russie réoriente ses forces dans le Nord grâce à un budget militaire augmenté (650 milliards d’ici 2020). Il en résulte une augmentation des patrouilles de ses sous-marins stratégiques et de ses bombardiers. De même, l’activité des forces aériennes russes est plus conséquente près des pays scandinaves. La Norvège a annoncé qu’elle avait envoyé 41 patrouilles pour surveiller des éléments russes volants près de la frontière. La Finlande quant à elle, a été victime à de nombreuses reprises de violation de son espace aérien par des appareils russes au cours de cette année, notamment le 12 juin 2013.

Le 10 décembre 2013, le président Poutine a ordonné l’augmentation de la présence militaire russe dans l’Arctique notamment par la réouverture de l’aéroport militaire de Tiksi en Sibérie orientale.

Le même jour, le ministère russe de l’Industrie et du Commerce a décidé d’améliorer l’efficacité des sous-marins russes en Arctique. Ainsi, la coque des sous-marins seront renforcées pour leur permettre de percer les couches de glace plus facilement. Ce nouveau dispositif sera installé à partir de 2016.

Enfin, nous avons pu assister à la détermination russe de contrôler parfaitement sa ZEE lors de l’interpellation des 30 membres de Greenpeace qui tentaient de grimper sur une plateforme pétrolière en mer de Barents.

Du côté du Canada, le ministre des affaires étrangères canadien affirme que l’armée mène au moins quatre exercices majeurs dans le Nord par an.

Les effectifs des rangers canadiens ont été portés à 5000 personnes.

La base de Nanisivik va débuter sa construction en 2014 afin d’assurer un point de ravitaillement pour les forces canadiennes dans le Nord.

Enfin, le programme AOPS (Arctic Offshore Patrol Ship) qui vise à produire six à huit unités de patrouilleurs, armées d’un canon de 25 mm et possédant une endurance de 120 jours va débuter très prochainement après un retard de six ans.

Du côté de la Norvège, les investissements militaires sont portés vers le Nord. Selon le DSI HS n°29, depuis 1990, la Norvège a construit un brise-glace pour les gardes côtes, cinq frégates, six torpilleurs et quatorze hélicoptères.

A noter que le Danemark a fait construire trois frégates antiaériennes de dernière génération (type Iver Huitfeldt-6000 tonnes) spécialement conçues pour faire face à la marine russe.

L’Arctique est donc une zone stratégiquement sensible pour de nombreux Etats. Les ressources qu’elle renferme amènent la convoitise. A travers, l’Organisation des Nations Unis, les Etats peuvent revendiquer l’extension de leur ZEE. En parallèle, les forces militaires se repositionnent pour affirmer la souveraineté des Etats dans les zones contestées. La zone du Nord est donc amenée à jouer un rôle important dans les prochaines décennies suite à la raréfaction des ressources énergétiques et à cause du réchauffement climatique.

M.Lefort

Bibliographie :

DSI, l’Arctique : Enjeux stratégique, HS n°29, 2013

J.C VICTOR, le dessous des cartes, Tallendier, 2012

P.Royer, Géopolitique des mers et des océans, puf, 2012

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R
magnifique !!
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